Le bureau de l’Unfpa Tunisie et l’Association tunisienne de la santé de la reproduction (Atsr) s’activent, depuis plusieurs années, à asseoir les jalons de l’éducation complète à la sexualité au profit des jeunes. Depuis 2018, les manches se retroussent pour préparer le terrain à l’intégration de ladite éducation au sein du programme scolaire, mais aussi dans le relationnel parents/enfants. Il n’est plus à en douter que, faute d’une connaissance suffisante sur la santé sexuelle et reproductive, les adolescent(e)s encourent des risques fâcheux, menaçant leur santé, voire leur parcours vital. Aussi, est-il, plus que jamais, temps de se rattraper en convertissant un sujet, considéré jusque-là comme tabou, en un thème à discuter entre parents et enfants dans un climat de confiance mutuelle, et ce, afin de construire, ensemble, une génération capable de décider pour sa santé et son bien-être d’une manière saine car sécurisée et responsable. Pour avoir de plus amples informations sur le programme de l’éducation complète à la sexualité, nous avons eu cet entretien avec le Dr Rym Fayala, cheffe du bureau de l’Unfpa Tunisie. Entretien
Veuillez-vous présenter ainsi que l’Unfpa Tunisie…
Je suis médecin de formation. J’ai toujours travaillé dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive ( SSR). J’ai assuré la formation du personnel de la santé en matière de SSR aussi bien à l’échelle nationale que celle internationale. J’ai géré, en outre, le programme national de lutte contre le sida. J’ai occupé, par la suite, le poste de responsable régional de la Fédération internationale de la planification familiale ( IPPF). Et c’est depuis 2017 que je suis cheffe du bureau du Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa), lequel bureau a été instauré en 1974. Je tiens à souligner que notre vision consiste à promouvoir les droits de la santé sexuelle et reproductive.
Pour ce, nous articulons notre travail autour de quatre composantes essentielles, à savoir le bien-être des jeunes, la santé sexuelle et reproductive, la lutte contre les violences faites aux femmes et les dynamiques de la population. S’agissant de la composante du bien-être des jeunes, nous avons déployé un surplus d’effort en adoptant une stratégie sur l’éducation complète à la sexualité.
Pourrez-vous nous éclairer davantage sur cette stratégie ?
Cette stratégie de l’éducation complète à la sexualité a pour objectif de favoriser l’apprentissage des jeunes de tout ce qui est en relation avec la sexualité, et ce, afin qu’ils soient parfaitement aptes à prendre des décisions à même de préserver leur santé, leur bien-être et de les protéger contre les comportements à risque. L’éducation complète à la sexualité s’appuie sur deux approches : la première étant au sein des établissements scolaires et la deuxième en dehors desdits établissements. Et pour servir l’une et l’autre approches, nous avons choisi de préparer le terrain en partant de l’environnement familial. Comme nous le savons tous, la famille représente la cellule primaire de l’éducation infantile, d’où le rôle capital des parents et de toutes les personnes qui sont en contact avec les enfants dans l’ancrage des valeurs et des bonnes pratiques. Ce travail a pour finalité de bien outiller les parents afin qu’ils puissent répondre, pertinemment, aux questions que poseraient leurs enfants sur la SSR. A défaut de questions verbalisées spontanément par les enfants, les parents sont vivement appelés à déclencher, par eux-mêmes, les discussions portant sur ce sujet. Aussi, avons-nous développé, en partenariat avec l’Association tunisienne de la santé de la reproduction (Atsr), des cahiers que nous avons baptisés « kit de survie : question/ réponse ». Le kit compte cinq cahiers contenant un recueil exhaustif de questions que posent, généralement, les enfants sur la SSR à toute étape de leur développement ; des questions auxquelles des experts ont apporté des réponses adaptées aux différentes tranches d’âge de l’enfance.
Pourquoi cinq cahiers ?
Parce que chaque cahier a été consacré à une approche bien déterminée. La première approche est scientifique et apporte des explications autres sur le corps humain et son évolution, la puberté, etc. La deuxième est psychologique. Elle permet d’expliquer moult détails sur l’évolution psychologique de l’enfant et de traiter des thèmes, tels que l’image du corps. La troisième est sociale. La quatrième est religieuse et est traitée en se référant au texte religieux. Quant à la cinquième, elle traite du sujet du point de vue des droits humains. Il est à préciser que tous ces cahiers ont été développés par des experts qui ont pris soin d’utiliser un langage crédible, intelligible car fluide, et ce, pour faciliter l’accès des parents — ainsi que des éducateurs — à l’information.
A partir de quel âge peut-on entamer l’éducation à la sexualité ?
Plus on l’entame tôt, mieux c’est ! D’ailleurs, dans le kit de survie, nous avons des questions et des réponses adaptées aux enfants âgés de zéro à 18 ans. L’information sera transmise à des doses progressives, conformément aux exigences de chaque tranche d’âge. Informé, avisé et responsabilisé, l’enfant apprend ainsi à opter pour des comportements sans risque. Il suffit de lire les cahiers pour retenir qu’on n’y aborde pas uniquement des relations sexuelles. Notre but consiste à apprendre aux enfants et aux jeunes à protéger leurs corps et à bâtir, petit à petit, une vie sexuelle et reproductive saine. Le kit de survie question/réponse favorise le dialogue entre les parents et leurs enfants tout comme il aide l’enfant à s’ouvrir à ses parents et à avoir confiance en eux. De leur côté, les parents doivent être à l’écoute de leurs enfants. Nous leur recommandons, même, de susciter sa curiosité et de saisir les opportunités dans la vie de tous les jours pour transmettre les informations sur la SSR. Mieux encore : ils doivent faire preuve de perspicacité en anticipant sur les éventuelles questions, notamment celles relatives à la puberté. Une maman, par exemple, doit anticiper sur les questions que poserait sa fille sur la menstruation, sur l’hygiène corporelle, etc. Un tel réflexe évitera aux enfants de chercher l’information sur d’autres sources lesquelles peuvent ne point être fiables. Certes, à un moment ou à un autre, l’enfant sera tenté par des recherches sur internet. Toutefois, la relation de confiance établie, préalablement, avec ses parents demeurera sa principale source d’information, sa référence de base.
Qu’en est-il de l’état des lieux de la SSR des jeunes Tunisiens ?
Il faut dire qu’il existe quelques études, sauf qu’elles sont toutes qualitatives. Nous n’avons pas constaté beaucoup de recherches sur la (SSR) des jeunes en Tunisie, lorsque nous avons entamé notre programme. Néanmoins, l’Unfpa en collaboration avec l’Atsr, est en train de réaliser une étude nationale sur les connaissances, les attitudes et les pratiques des jeunes sur la santé sexuelle et reproductive. Les résultats de ladite étude ne tarderont pas à être publiés. Cela dit, les études disponibles trahissent une flagrante méconnaissance des jeunes pour la (SSR), et ce, dans tous les milieux sociaux sans exception. D’ailleurs, selon une étude qui avait été réalisée sur le Grand-Tunis en 2018 par le Groupe Tawhida Bel Cheikh, 50% des filles tunisiennes n’ont jamais été informées sur la SSR. D’autant plus que 18,5% des adolescentes méconnaissent les moyens contraceptifs. Or, moins on est avisés sur la SSR, plus on est vulnérable. Et pour preuve : une autre étude, réalisée en 2016, avait montré que 3,3% des enfants indiquent avoir été victimes d’abus sexuel dans les écoles. Faute d’éducation complète à la sexualité, les enfants et les jeunes encourent maints risques, dont les relations sexuelles précoces et les innombrables risques qu’elles représentent pour la santé des jeunes, les rapports sexuels non protégés, les infections sexuellement transmissibles (IST), les grossesses non désirées, sans oublier la vulnérabilité aux violences sexuelles… Cet état des lieux revient, essentiellement, à l’absence de tout programme cohérent et complet sur l’éducation complète à la sexualité, et ce, avouons-le, en dépit d’un cadre juridique pourtant favorable. Rappelons que la loi 58-2017 de lutte contre les violences faites aux femmes stipule qu’il faut instaurer l’éducation complète à la sexualité.
Le programme d’éducation complète à la sexualité fera-t-il partie du programme scolaire ?
Effectivement ! Nous avons eu l’aval du ministère de l’Education pour que l’éducation complète à la sexualité soit intégrée d’une manière transversale dans quasiment tous les modules du programme scolaire, notamment l’éducation civique, l’arabe, le français, l’anglais, la science et la vie, et ce, selon quatre tranches d’âge. Nous espérons passer, enfin, à l’action, cette année, dans des régions pilotes, représentées par des écoles relevant de treize gouvernorats. D’ailleurs, le ministère a désigné un comité qui se chargera de la supervision de ce programme. Nous allons focaliser l’intérêt, de prime abord, sur la tranche d’âge cinq/huit ans. Des formations destinées aux inspecteurs et aux enseignants seront assurées. Ce programme est le fruit de la collaboration entre l’Institut arabe des droits de l’Homme, l’Atsr et l’Unfpa- Tunisie. D’un autre côté, et suivant l’approche de l’éducation complète à la sexualité en dehors des établissements scolaires et en partenariat avec l’Onfp, nous avons développé une application mobile ayant pour appellation : « sexo-santé ». Elle vise à fournir aux jeunes des informations sur la SSR. Une autre approche était de se diriger vers les jeunes à travers des relais qui ont été formés sur l’éducation complète à la sexualité et qui ont pour rôle de mener des séances d’éducation. Quant aux cahiers du kit de survie, nous avons commencé à les disséminer dans le cadre de la foire du livre, mais aussi sur les sites web de l’Unfpa et de l’Atsr. Nous poursuivrons cette approche de vulgarisation de l’information en disséminant, gratuitement, les cahiers dans les lieux de rassemblement des parents, notamment dans les cabinets médicaux, les commerces, etc.
Autres projets d’une envergure similaire ?
Oui. Nous travaillons sur un programme de lutte contre les violences fondées sur le genre. Nous avons réalisé une étude sur les violences cybernétiques. Les résultats dévoilent un taux inquiétant : 60% des jeunes femmes indiquent avoir été victimes de violence facilitée par la technologie… Aussi, avons-nous développé des actions pour lutter contre cette forme de violence, notamment à travers des jeux, un théâtre-forum sur les violences cybernétiques, etc. Nous miserons davantage sur cette étude afin de continuer à lutter contre ces nouvelles formes de violence.